La salle de contrôle des missions de vols de la station spatiale de Houston au Texas en 2017

Productivité

Dans l’enceinte du centre de contrôle de mission de la NASA : l’espace de travail le plus sensationnel au monde

Temps de lecture :  6 Minutes

Vélos d’exercice, éclairage adapté aux rythmes circadiens et liaisons directes avec l’espace par satellite… Paul Sean Hill, l’ancien directeur des opérations de mission du centre spatial de la NASA de Houston au Texas, explique comment l’agence a créé un bureau « aux frontières de la Terre » et s’est adaptée à la tendance du travail flexible

 

À quoi ressemble le centre de contrôle de mission de la NASA ?

Il ressemble un peu à une centrale d’appels d’urgence ou à un système de contrôle du trafic aérien. Une vingtaine de tables, toutes équipées de plusieurs écrans d’ordinateurs, et à l’avant de la pièce, un grand écran affichant un récapitulatif des données pour toute l’équipe. Comme vous l’avez déjà probablement vu dans les films, une série d’horloges sont accrochées en haut du mur. Elles affichent aussi bien l’heure locale que celle de la prochaine couverture satellite du vaisseau spatial. La plupart de nos activités nécessitent soit un compte à rebours ou la mesure du temps écoulé depuis le lancement du vaisseau.

Ce qui surprend le plus les visiteurs ?

Les visiteurs sont toujours sidérés lorsqu’ils accèdent à la salle de visionnage et qu’ils voient la gigantesque carte sur l’écran central affichant précisément la position du vaisseau par rapport à la Terre. À côté de la carte, un grand écran projette les vidéos relayées par le vaisseau, aussi bien les images de l’intérieur que de l’extérieur de l’appareil. Les visiteurs écarquillent les yeux et systématiquement, l’un d’entre eux finit par demander : « Est-ce bien réel ? Ce que nous voyons est-il en train de se passer maintenant ? » La réponse est toujours : « Oui, c’est exactement ce qui se passe maintenant à 400 km dans le ciel, à l’autre bout de la planète. »

L’agencement du centre est emblématique. Quelles sont les réflexions ayant permis d’aboutir à ce résultat ?

Il y a 60 ans, lorsque nous avons lancé les missions spatiales, chaque membre du personnel devait occuper une place bien précise. Certaines disciplines étaient regroupées, car c’était plus facile pour elles de comparer leurs notes. Dans l’environnement informatique actuel, cet aspect est beaucoup moins important. Aujourd’hui, il leur suffit de se trouver dans la même pièce ou de disposer de systèmes leur permettant de se concerter virtuellement et d’échanger des données où qu’ils soient.

La salle de contrôle des missions de vols de la station spatiale en 1964

 

Le personnel a-t-il la possibilité de travailler à distance ou de manière flexible ?

L’évolution de la technologie permet de flexibiliser le travail jusqu’à un certain point. Nous disposons de systèmes qui permettent aux membres du personnel se trouvant en dehors de la salle de contrôle de s’y connecter et de travailler de chez eux. En particulier lorsque leur travail ne concerne pas le pilotage du vaisseau (par exemple, les analyses de données ou la préparation de présentations), rien ne les empêche de travailler à distance. Le centre a aussi commencé à autoriser les membres du personnel à travailler de chez eux un vendredi sur deux. Chaque membre du personnel a été motivé comme suit : si un collaborateur accomplit son travail en 80 heures en 9 jours au lieu des 10 prévus par la période de paie, il peut prendre congé ce jour-là, pour autant qu’il n’ait pas de réunion prévue. Cette mesure a eu un effet très bénéfique sur le moral de l’équipe. De ce fait, le travail flexible distillé avec parcimonie nous est utile.

Dans quelle mesure les postes de travail sont-ils ergonomiques ?

Au risque de paraître désobligeant à bon nombre de mes prédécesseurs, au cours de nos 40 à 50 premières années d’existence, de nombreux facteurs humains étaient relégués au second plan au profit de l’aspect technique qui était, lui, primordial. Il n’était pas rare d’avoir des sièges, des positions d’assise et au clavier inconfortables. Ces 10 dernières années, nous avons appris à prendre l’ergonomie plus au sérieux. À partir de 2011, tout a complètement changé.

Dans quelles mesure les changements résultent-ils de remarques du personnel ?

Les choses ont évolué petit à petit. Les membres du personnel ne se plaignaient pas tellement puisqu’ils n’avaient jamais rien connu d’autre. Lorsque certains osaient se plaindre des sièges ou de l’éclairage, l’équipe de direction levait les yeux au ciel et répondait : « C’est bon. Nous avons été sur la Lune avec cet éclairage. À présent, n’en parlons plus et faites votre travail. »

Toutefois, les années ont passé et des études ont révélé l’importance d’une bonne ergonomie. Les médecins de la NASA nous ont expliqué l’existence d’un lien direct entre le type d’éclairage dans nos espaces de travail et l’humeur de notre personnel. Somme toute, nous avons découvert que nous pouvions considérablement améliorer l’ergonomie et optimiser l’espace de travail pour notre personnel sans incidence sur les coûts. Les nouveaux postes de travail informatiques disponibles sur le marché coûtaient en réalité moins cher que les consoles obtenues auprès du gouvernement que nous souhaitions remplacer.

Paul Sean Hill, ancien directeur des opérations de mission du centre spatial de la NASA de Houston au Texas

Paul Sean Hill, ancien directeur des opérations de mission du centre spatial de la NASA de Houston au Texas 

 

Le personnel de la NASA travaille souvent 10 heures d’affilée dans un bureau sans fenêtres. Quelles mesures adoptez-vous pour que vos employés restent en bonne santé ?

Nous travaillons dans un grand bâtiment sans fenêtre pour éviter la surchauffe des ordinateurs, mais d’un autre côté, cela signifie que le bâtiment est privé de lumière naturelle. C’est dans cette optique que nous avons réfléchi à l’intensité, à la couleur et au style de notre éclairage artificiel. Par ailleurs, il présente l’avantage d’aider les employés à respecter leurs rythmes circadiens en les mettant en condition pour pouvoir dormir lorsqu’ils rentrent chez eux à des heures où l’être humain ne dort généralement pas.

Nos médecins ont également recommandé aux employés de bouger pendant leur période de travail. Même deux à cinq minutes d’exercice par heure peuvent avoir un effet bénéfique sur la santé à long terme. Nous avons également aménagé une salle de sport dans la salle de contrôle de mission proprement dite avec quelques vélos et tapis de course, pour que les employés qui le souhaitent puissent être plus actifs pendant leur temps de pause.

Un code vestimentaire est-il en vigueur au bureau ?

Oui et non. Étant de la vieille école, je portais toujours une cravate lorsque j’étais directeur des vols. Le code vestimentaire s’est légèrement assoupli au cours des 20 dernières années. Maintenant que nous avons des postes opérationnels 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, il n’est pas inhabituel de voir des employés porter des tenues d’affaires décontractées, en particulier la nuit. Mais généralement, cela ne va pas plus loin. Nous nous concentrons sur l’image que nous renvoyons au monde extérieur. Nous voulons que les gens sachent que nous sommes professionnels et déterminés.

Quels sont vos meilleurs conseils pour un travail d’équipe efficace ?

Premièrement, l’interaction. À la NASA, nous encourageons vivement l’interaction entre nos collaborateurs à tous les niveaux de hiérarchie, du sommet à la base. Il est important que tout le monde se sente suffisamment à l’aise pour parler de son travail aux autres : partager ses connaissances et obtenir le soutien de son entourage, que ce de manière directe ou à distance.

Deuxièmement, toujours en rapport avec le premier point, il convient que chacun aspire à une transparence totale. La rétention d’informations constitue un signal d’alarme indiquant que votre équipe a des problèmes de confiance. En cas de problème à un quelconque niveau de l’organisation du contrôle de mission, l’équipe de direction doit en être immédiatement informée. En dépit de donner l’impression d’une microgestion tous azimuts, nous avons découvert que cela faisait une différence significative. Notre capacité à régler les problèmes de toute taille au moment de leur apparition nous permet de gérer la situation plus efficacement. De ce fait, nous avons passé la moitié de notre temps à nous réunir autour de la gestion pour, finalement, prendre de bien meilleures décisions et assurer un meilleur leadership de l’organisation.

Troisièmement, encouragez chaque membre de votre équipe à faire part de ses suggestions d’amélioration de la situation. Les gens évitent souvent de dénoncer ce qui ne fonctionne pas, de peur de se tromper. Nous avons appris qu’écouter nos équipes est ce que nous pouvons leur offrir de mieux, autant pour le bien de l’organisation que pour la santé et l’épanouissement de nos employés.

Quelle leçon les civils peuvent-ils retenir du fonctionnement du centre de contrôle de mission ?

La principale leçon est la suivante : veillez à remettre en question votre mode de fonctionnement. Pendant très longtemps, le fait d’avoir conservé l’agencement du bureau nous a conduit à utiliser un équipement très coûteux et qui n’était pas optimal. Cela peut sembler inouï, au vu de ce que nous faisons chaque jour, mais il nous a fallu longtemps pour renoncer à nos anciens ordinateurs et logiciels pour adopter la technologie dernier cri. Franchir le pas a constitué la meilleure démarche que nous aurions pu imaginer.

 


L’ouvrage « Mission Control Management », de Paul Sean Hill, est publié aux éditions Nicholas Brealey

Les propos de Paul Sean Hill ont été recueillis par le journaliste britannique Etan Smallman